Les maîtres de l’image
Ceux qui déambulent, paradent ou s’affichent dans l’espace public sont également les maîtres de l’image. Les photographies d’agence doivent aux effets conjoints de la censure allemande et du service central photographique créé fin 1941 pour orienter, coordonner et contrôler la production et la diffusion de la photographie dans la presse et l’édition, d’être fréquemment esthétiques et léchées mais toujours aseptisées et asservies. La plupart privilégient le pittoresque ou l’inattendu, propre à séduire ou faire sourire, mais taisent ou travestissent les souffrances à moins qu’elles n’aient vocation à dénoncer les bombardements alliés. Celles qui émanent directement des services de propagande de Vichy recourent à de soigneuses mais non moins évidentes mises en scène pour en illustrer la mystique revendiquée, à la manière d’images pieuses.
Les photographies d’amateurs dont on ne connaît pas toujours l’exact statut sont d’autant plus rares qu’il n’est alors pas donné au tout venant de disposer de pellicules et d’un laboratoire. Celles présentées ici constituent un contrepoint, propre à dire la discordance. Elles restituent une atmosphère moins pacifiée que celle des images estampillées et saisissent parfois l’incident en constituant, alors, un document exceptionnel. Reste que les résistants qui doivent donner à voir la Résistance, en demeurant dans l’ombre qui seule les protège, ne laissent d’autres traces que les actes accomplis et les signes éphémères. La photographie s’arrête là où les luttes et la clandestinité commencent. Au risque, aujourd’hui, d’un évident déséquilibre des images.
Au visiteur, avisé que les images parvenues jusqu’à lui sont souvent difficiles à interpréter et parfois trompeuses, d’aiguiser son regard pour les prendre à contre-pied quand il le doit.